Racism pt2 – Senegal

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Le Sénégal est aujourd’hui un modèle de démocratie occidentale en Afrique de l’Ouest.   En revanche, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, la nation exportait des esclaves tout comme elle exportait des marchandises comme l’ivoire et l’or.   Aminata D. vit et étudie actuellement en France, la dernière des quatre puissances européennes qui ont colonisé sa patrie africaine.

Où avez-vous grandi?      

Aminata Diouf: J’ai grandi à Dakar au Sénégal. C’est une petite ville dans un petit pays, sur la pointe occidentale ouest de l’Afrique, avec une population d’à peu près 16 millions d’habitants. Le Sénégal est connu comme le pays de la téranga (=hospitalité), l’une de nos valeurs les plus importantes (sans oublier le respect, de sens de la communauté et de la solidarité, qui rythme nos vies quotidiennes et nos actions que ce soit manger, l’harmonie religieuse et même dans la manière de se saluer). C’est une société multiculturelle et multi ethnique.

Comment avez-vous été introduit à la diversité culturelle/ ethnique?

J’ai été exposé à la diversité culturelle depuis l’enfance. J’ai grandi autour de blancs, de métisses, de chrétiens, d’athés, d’autres africains de l’ouest etc. Étant enfant, je n’ai jamais questionné l’altérité, je me faisais des amis indépendamment de leur religion, leur couleur, leur genre etc, je ne « voyais pas le couleur ». Quand à la diversité ethnique en terme de concept, je ne me suis jamais vraiment posée la question étant jeune. Étant dans un pays majoritairement musulman (94%) et noir, je n’ai jamais été mise dans une situation de minorité qui m’aurait fait questionner mon rapport à ma couleur de peau ou encore celui à ma religion par rapport à une majorité donnée. La plupart des gens me ressemblaient culturellement et je me confortais dans cela. La diversité culturelle, on n’en parlait pas vraiment à l’école, on le vivait tout simplement. Les différentes ethniques qui vivent au Sénégal cohabitent pacifiquement.

Comment avez-vous pris conscience de la notion du racisme pendant votre jeunesse?

Durant ma jeunesse, je n’ai jamais eu de discussion avec mes parents à proprement parler sur le racisme. On n’en parlait jamais à la maison parce que c’était une situation à laquelle on n’était pas exposé, toute ma famille étant noire et musulmane, comme la quasi-totalité des sénégalais. N’étant pas en situation de minorité dans mon pays, je n’ai jamais eu à me poser des questions, remettre en cause ma situation par rapport à mon genre, ma religion ou encore ma couleur de peau. Étant enfant j’étais consciente que des gens pouvaient se faire traiter différemment à cause de leur couleur de peau, leur religion ou encore leur genre, et bien évidemment on m’éduquait dans un esprit de respect et de fraternité envers tout le monde, indépendamment des caractéristiques émises précédemment.

Les discussions tournant autour du racisme et des discriminations se faisaient essentiellement par des petites histoires qu’on me racontait ou que je lisais avec des morales, ou c’était des parenthèses lors de discussions que je pouvais avoir avec mes parents. Ayant l’habitude de beaucoup voyager, ce sont ces escapades or du Sénégal qui m’ont fait découvrir d’autres modes de vie, cultures, religions etc. d’une petite campagne du Delaware aux États-Unis à la petite ville de Dalian en Chine en passant par Madrid et bien d’autres. Ma prise de conscience sur le racisme s’est faite sur la base de mes propres expériences, pas par l’éducation. C’est en voyageant justement hors de l’Afrique subsaharienne qu’on m’a renvoyée à ma couleur de peau, qu’on assignait automatiquement à une culture donnée (qui serait archaïque, reculée). C’est aux États-Unis qu’on m’a demandé pour la première fois si je vivais dans une case en Afrique, si on avait du coca cola en Afrique, comment j’ai appris à nager si je vivais en Afrique etc. C’est en arrivant en France pour étudier qu’on m’a posé des questions du style « comment ça se fait que tu parles aussi bien français » ou qu’on a touché mes tresses en me disant que c’était « super exotique ». C’est en Chine qu’on me prenait en photons mon autorisation ou que les passants cherchaient à toucher ma peau et mes cheveux.

Est-ce que vous pensez qu’il existe du racisme institutionnalisé dans votre pays?

Il n’existe pas de racisme institutionnalisé au Sénégal. Cependant, j’ai remarqué une différence notable dans les systèmes éducatifs : de la maternelle au primaire, j’étais au programme sénégalais, puis j’ai commencé le programme français au collège. La rupture entre les deux était énorme. Ce n’est qu’à partir de la seconde et en terminale qu’une petite partie du programme se consacre aux colonisations et aux décolonisations ( surtout la guerre d’Algérie). Quant au primaire j’en apprenais plus sur les anciens royaumes du Sénégal, des figures de résistance coloniale comme Aline Sitoé Diatta ou Lat Dior, au programme français, la colonisation n’était quasiment pas enseignée et lorsqu’elle l’était, occultait énormément les violences coloniales et les massacres. C’est en fin de lycée et à l’université que j’ai par exemple appris l’existence du massacre de Thiaroye, qui s’est passé dans mon propre pays entre des troupes coloniales et des gendarmes français. L’histoire coloniale de la France est très peu et partiellement enseignée, omettant les parties sombres de son histoire.

Le racisme institutionnel, contrairement à ce que l’universalisme classique français antiraciste français laisse entendre, est bien une réalité. Cette attitude de ‘color-blindness’ nie les expériences de vie des minorités ethniques et même si ça peut partir d’une bonne intention individuelle, la société n’ignore PAS la couleur de peau. L’invisibilisation des différences ne règle pas la question des violences policières envers les minorités ethniques, le contrôle au faciès plus appuyé chez celles-ci, leur faible représentation dans les médias ou encore le système éducatif exclusif. Le Défenseur des droits a fait des rapports, la CNCDH a fait des rapports, des ONG ont fait des rapports sur le racisme en France : Il FAUT en parler, et pour cela il ne faut pas hésiter à dire les termes : la question raciale en France existe. Le plus important, est que la parole se libère, qu’on laisse place à la discussion, à un dialogue égalitaire entre les principales concernés et les autres.

A quel point vous vous rendez compte de l’existence du racism dans votre vie de tous les jours?  

Aujourd’hui, je vis en France. J’avais été l’objet de microaggressions racistes dans le passé (surtout aux États-Unis), mais je ne me suis jamais autant sentie noire qu’en France : – « Tu viens d’où ? Non mais je veux dire pour de vrai ? » – « Comment ça se fait que tu parles aussi bien français ?» – « Tu parles comme une blanche » – Des personnes qui agrippent leurs sacs quand je passe à côté d’eux dans la rue ou encore dans l’ascenseur – Des gens qui changent de trottoir dans la rue en me voyant – Un taximan qui me dit « ouais les black en général ils vont sur ce campus » – Être suivi d’un peu trop près dans un magasin par un agent de sécurité – Les vendeurs dans des magasins qui présument que je ne peux pas acheter quelque chose de cher Autant de choses et de petits détails de ma vie quotidienne qui me ramènent à une chose qui ne m’a guère préoccupé pendant la majeur partie de ma vie : ma couleur de peau. 

Comment est-ce que l’activisme antiracist est-il perçu dans votre pays?

Mon activisme antiraciste est perçu dans ma famille au Sénégal comme utile et nécessaire, vu que plupart d’entre eux reconnaissent l’existence d’un fort racisme/discrimination revers les minorités ethniques ou en ont même fait l’expérience et qui comprennent pourquoi ce combat me tient à coeur. Par contre c’est en France, que j’ai reçu quelques critiques. J’ai des amis par exemple qui me disaient qu’ils ne voyaient pas l’intérêt d’exporter le principe de BLM en France, affirmant qu’on cherche à américaniser la société française en y imposant des mouvements qui n’ont pas lieu d’être en France. Les combats ne sont certes pas identiques, mais ils sont portés par les mêmes dynamiques et le même passé oppressant. Mais dans l’ensemble, il est perçu comme normal d’être anti-raciste et de lutter contre les discriminations.

Que fait votre pays en tant qu’efforts pour répondre au problème/ est-ce que vous pensez que votre pays pourrait encore faire plus pour y résoudre?

En France, il faudrait tout d’abord enseigner l’histoire coloniale et avoir des programmes d’histoires plus inclusifs. Cet enseignement est un prisme pour penser, comprendre la question de l’immigration dans la société française et les problématiques qui l’entourent de nos jours. Ensuite, il faudrait ouvrir un RÉEL débat public et politique, et effectuer un réel travail de mémoire sur le passé coloniale et sur ses conséquences modernes, comme ce qui commence à se faire ces derniers temps. Cela permettrait sa reconnaissance par les personnalités politiques et par conséquent la mise en place d’actions publiques concrètes et non pas symboliques pour en finir avec déni du racisme contemporain, ce renvoi systématique à de la victimisation qui serait uniquement liée au passé esclavagiste et coloniale et non pas sur leurs conséquences contemporaines. Ça pourrait également passer par une meilleure formation et un meilleur filtrage des agents du service public, le développement des données sur le racisme puisque l’interdiction des recensements ethniques couvre le voile sur la réalité des discriminations, on reste dans l’impossibilité de les quantifier, ce qui mène à leur ignorance voire leur déni.

ENGLISH VERSION

Senegal is now a model western democracy in West Africa.  By contrast, during the 17th and 18th centuries the nation exported slaves just as they did commodities such as ivory and gold.  Aminata D. presently lives and studies in France, the last of four European powers that had colonized her homeland.

Where did you grow up?

Aminata Diouf:  I grew up in Dakar, a small town in a small country, with a population approximately 16 million, on the western occidental tip of Africa. Senegal is known as the country of ‘la téranga’ (hospitality), as it’s one of our most important values (without of course forgetting respect, sense of both community as well as solidarity… téranga guides the rhythm of our day-to-day lives and routines— from our meals, to our religious harmony, even to our ways of greeting one another). It’s a society that is both multicultural as well as multi-ethnic.

Exposure to culture/ ethnic diversity?

I’ve been exposed to cultural diversity since my childhood. I grew up surrounded by whites, Métis, Christians, atheists, other Africans from the west, etc. As a kid, I never questioned the otherness; I made friends with people irrespectively of their religion, the color of their skin, their gender, etc. I “didn’t see color”.

As for ethnic diversity in terms of being a concept, I never really asked myself the question as a kid. Given I was in a predominantly Muslim country (94%), I was never really put in a situation of a minority which would’ve made me question the color of my skin or even yet my religion in relation to the given majority. Most people culturally resembled me, and I found comfort in that. Cultural diversity– we didn’t speak much of it in school given we were simply living it. The different ethnicities that live in Senegal peacefully coexist.

What was your degree of awareness of racism in your upbringing?

During my youth, I never had a formal discussion with my parents on racism. We never spoke of it at home because it was a situation to which we were never exposed, my whole family being black and Muslim, just as the near totality of Senegalese people. Given I wasn’t in a minority’s position in my country, I never had to ask myself such a thing, question my situation in relation to my gender or my religion, let alone the color of my skin. Being a kid, I was aware that people could be treated differently because of the color of their skin, of their religion, or even their gender, and of course I’d be educated through a setting spirited by respect and fraternity for all, regardless of one’s previously listed characteristics.

The discussions revolving around racism and discrimination were essentially evoked by little stories that some would tell me or that I’d read about with concluding morals, or it was parenthesis amidst conversations I could be having with my parents. Having traveled a lot, it was these excursions outside of Senegal that exposed me to different ways of life, cultures, religions, etc. from the quaint countryside of Delaware in the U.S., to the tiny town of Dalian in China, passing through cities such as Madrid among many others.

My awareness of racism came through a baseline of my own experiences, not through education. It is precisely when traveling outside of sub-Saharan Africa that I was referred to by the color of my skin which was automatically assigned to a given culture (which would be archaic).  It was in the U.S. that I was asked for the first time if I lived in a hut in Africa, how I learned to swim if I lived in Africa, etc. It was upon arriving in France for to pursue my studies that I was asked questions of the sort “how is it that you speak French so well” or that people would touch my braids while telling me how “super exotic”. It was in China that people would take pictures of me without my authorization or that by-passers tried touching my skin or my hair.

Are you aware of institutionalized racism/ existence in your respective country?

Institutionalized racism does not exist in Senegal. However, I noticed a significant difference in the education systems: from kindergarten to primary school, I was in the Senegalese program, then I started the French program in middle school. The rupture between the two was huge. It was only starting junior and then followed by senior year that a tiny portion of the curriculum touched upon colonization and decolonization (especially the Algerian war).

While in primary school I learnt far more on the ancient kingdoms of Senegal as well figures of colonial resistance such as Aline Sitoé Diatta or Lat Dior, in the French curriculum, the history of colonization was nearly never taught— and when it was, the teaching enormously obliterated the colonial acts of violence as well as massacres. It was at the end of high school and at university that I learned, for example, about the Thiaroye Massacre which had happened in my own country between colonial troops and French soldiers. France’s colonial history is taught briefly and only in part, omitting the darker parts of the country’s past.

Institutionalized racism ––contrary to what the classic French anti-racist universalism insinuates— is in fact a reality. This colorblind attitude negates the experiences lived by ethnic minorities and even it could be coming from a place of good individual intention, society does NOT ignore the color of one’s skin. This attempt to claim differences as invisible does not resolve the question of police violence towards ethnic minorities, or the use of racial profiling far more enforced upon this demographic, or the minimal representation of minorities in the media, or even yet the exclusive education system.

The Human Rights Commissioner made reports, the National Consultative Commission on Human Rights made reposts, Non-governmental Organizations made reports on the existence of racism in France: it MUST be spoken about, and in order to do so, one cannot hesitate to say the words: the issue of race exists in France.  The most important thing is that our speech be liberated, that we allow ourselves the space for these discussions, for a dialogue on an equal playing field between those principally concerned and the others. 

Degree of your own awareness of racism in your everyday life/ community? 

Today, I live in France. I’ve been the object of racist micro-aggressions in the past (especially in the US), but I’ve never felt as black as I do in France: “Where are you from? No, I mean where are you really from?”; “how is it that you speak French so well?”; “you speak like a white”; people that clutch their bags when I pass by them in the street or on the elevator; people that switch sidewalks when walking in the street when they see me; a taxi driver that tells me “yeah, the blacks in general go on this campus”; being followed a little too closely in a shop by the security guard; salespeople in certain stores that assume I can’t buy something expensive. So many of these instances and little details of my everyday life bring me to one thing that had hardly been of a concern for a major part of life: the color of my skin.

How has anti-racist activism been received in your respective country? 

My anti-racist activism is perceived by my family in Senegal as useful and necessary, since the most of them either recognize the existence of a strong racism/ discrimination towards ethnic minorities or have even undergone the experiences themselves and thus understand why this fight is held close to my heart.

However, it is in France that I have received several critiques. For example, I have friends that tell me that they don’t see the point in exporting the premise of BLM in France, affirming that we are merely trying to Americanize French society by imposing movements that should have no place in France. The two fights are certainly not identical, but they are carried by the same dynamics and the same oppressive past. Nonetheless, it is overall perceived as normal to be anti-racist and to fight against discrimination.

How is your country addressing the issue/ do YOU think your country could be doing a better job at addressing/ working to solve racism?

In France, we must first and foremost begin teaching the colonial history as well as have more inclusive history curriculums. This education is a prism for thinking, for understanding the issue of immigration in French society and the problems that surround the debate today. Then, we must open up a REAL –both public and political– debate, and from there put forth a real concrete effort of remembrance of the colonial past and its modern-day consequences, as is starting to happen in light of recent events. This would allow for a recognition by political personalities, consequently calling for concrete public action to take place, rather than mere symbolic gestures. It would put to rest this denial of contemporary racism, this systematic dismissal of victimization that we only ever spoken about in relation to a past of slavery and colonialism, and never about its contemporary consequences.

We could also be putting place better training and better screening of public service agents given that the development of data on racism since the ban on ethnic censuses covers the veil on the reality of discrimination.  We are left with an impossibility of quantifying it, which allows its existence to be ignored, let alone denied.

About the Article

A subjective view of racism today in Senegal and France.

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